dimanche, juin 25

Amnésie

Etre mort n'eut pas été si dramatique si j'avais pu, en tout état de non-cause, connaître les conséquences de ma fin. Rien de pire que l'amnésie, l'ignorance, l'inconnu. Plus encore que l'inconnu de l'avenir, celui du passé est d'un tragique exemplaire. Et bien que je n'eus dû accorder que bien peu d'importance à qui j'étais (puisque je ne suis plus), je continuai d'affoler un mental désœuvré de ne pas savoir pourquoi.

J'ai cherché mon tombeau. Une pierre reluisante, un caveau imposant, deux planches de bois cloutées et gravées au ciselet…j'ai cherché. Au fond, je savais pertinemment que de trouver mon tombeau ne serait que d'une utilité toute relative…mais ce qui m'agréait dans cette innocente recherche, c'était les rencontres du hasard. Infâme? Peut-être…mais ces larmes versées sur les pierres gravées me passionnaient pourtant. Ces pleurs qui font l'apologie du non-dit, du secret emporté. Ces plaintes amères sont de véritables hymnes à l'inavoué: pourquoi, pourquoi, pourquoi…les entend-on sans cesse scander dans les vents écumants cimetières et terres arides de vie…

Bien plus que les morts eux-mêmes, ce sont les vivants qui cherchent à connaître ces évènements macabres, la vérité d'une fin inattendue…ou au contraire, trop attendue. Le poing rageur, je les ai écouté s'en prendre à la destinée, faucheuse sans relâche, qui refuse de leur délivrer son dessein accompli dans les formes et le fond, dans la sincérité qu'elle semble leur devoir. En réalité, la destinée ne doit rien à personne, moins encore au soupirant qu'à ceux qu'elle a fait trépasser. Elle le sait. Elle en joue Nous aussi.

Quand j'ai posé mon regard sur ce granit, j'ai découvert que ma manœuvre était d'une utilité plus encore que relative. Mon prénom y était gravé en lettres dorées imposantes. Pas de date, de nom de famille…seule une petite phrase accentuant d'autant plus ma curiosité post-mortem: "Le secret, avec lui, emporté". L'affirmation était brève et concise. Les fleurs encore colorées n'avait dû être déposées que quelques jours auparavant; la terre battue sur les bords de la cavité repue attestait d'un enterrement tout récent.

J'étais mort et avec moi, j'avais emporté un secret. Et peut-être était-ce là la raison de mon trépas: faire disparaître, avec moi, un secret dont je ne savais encore rien. Alors que mes espoirs de connaître mon histoire s'amenuisaient, un être sans visage s'approcha de ma pierre, déposa un lys au pied du granit et s'agenouilla, pensif.

Je n'avais aucun droit.

Et pourtant…

Je le pris…

mardi, juin 20

Absoluut Truth

Tout le monde à ses secrets, ce jardin impénétrable, interdit, funeste parfois. Tout le monde vit avec ses non-dits, ses pensées discrètes qui s'effondrent au moindre doute. Tout le monde, sauf moi. Moi, je vis d'oubli. L'oubli de secrets que j'ai dû trop longtemps garder et taire. Pour qui? Pour quoi?

Les êtres humains aiment s'entourer de mystère, d'un flou pseudo-artistique qui procure à leur existence affadie un semblant de dramatique. La vie tranquille et banale n'a jamais suffit. Il faut le petit plus d'un secret, honteux ou extravagant, pour empourprer son existence et agrémenter les dernières pensées du jour, prémisses du sommeil. Oui, ces secrets, souvent, vous ne vous contentez pas d'en dessiner l'ombre intacte dans votre esprit. Il vous faut à tout prix la satisfaction du partagé, sinon, que serait une réalité aussi précieuse jalousement préservée en votre cœur?

Mais combien peut-il en coûter de faire offrande de ce trésor? Le secret peut vous nouer dans la connaissance d'une réalité si abjecte que ce lien se forge d'inassouvi perpétuel. Les regards se percent des actes accomplis sous l'égide d'un seul dieu sauveur ou vengeur. Alors que certains affirment que tout peut être partagé et que la délivrance ne tient qu'à ce fil, il me plaît de lancer un suprême avertissement. Avant de vouloir détrôner l'accalmie de votre existence, avant de vous assujettir à la clameur d'un secret dérangeant, demandez-vous si le jour où il sera confié, la perversion n'en sera pas mortelle…

Je suis mort d'un secret trop bien gardé, trop bien partagé. Mais lequel? Je continue d'observer ceux-là que vous êtes à sa recherche. Comme une ritournelle sourde, j'entends chacun de vos secrets au moment même où il vous prend de les révéler. J'attends qu'un être dont je ne connais plus que l'ombre se trahisse et s'embrase d'à son tour, partager avec flegme et fierté, l'histoire sordide qui aura su me mener ici…et à ce moment, il ne restera qu'à espérer qu'il aura bel et bien pesé son acte…et les funestes probabilités de ses conséquences…

Je suis mort…sans encore savoir comment…


Un secret.
Un silence.

dimanche, juin 18

Ego

Il eut été affligeant de devoir débuter un chapitre de mon inconnu par un syntagme aussi insipide que celui qui commence par "Je m'appelle". Lorsque l'on est mort, on ne peut se permettre de lésiner sur le seul artifice de vie qui demeure. Bien loin de me douter que les patronymes pouvaient se révéler d'une quelconque utilité, force est d'admettre que j'en possède un. Il est écrit en toute lettre et me laisse complètement indifférent: Elmerick.

Un nom, un prénom, un surnom, une énigme. Viendrais-je de débusquer la première question à laquelle il me fallait répondre? Celle de mon identité désuète? Ici, tout paraît sans importance, y compris le détail sordide de la dénomination. Pourtant, la sacrosainte identité humaine semble toujours être au cœur de vos préoccupations…est-ce aussi le cas ici?

Avec le recul absolu qui m'est confié – infligé? – j'observe le monde de ceux que je ne suis plus avec une sérénité déconcertante. Après tout, être mort ne sera peut-être pas aussi ennuyeux que je le présageais. Nous dirons donc que mon état de non-vie sera le point crucial de mon identité. Soyons réalistes: combien de personne peuvent se vanter de vive l'After-Life Effect? Aucune. Lorsqu'on le vit, on ne s'en vante pas.

Les êtres humains veulent toujours être plus originaux que leurs voisins. La quête perpétuelle de ce Graal allégorique ne cessera jamais. De vos jours, on assume plus une différence: on la sculpte, on la modèle, on la renforce, on l'extraverti, on la publie officiellement, on en fait l'apologie. Ces corps dérivants sont mus par la pensée extatique de cette identité propre. Tous les moyens sont bons…le sont-ils? A force de vouloir être différents, ils sont de plus en plus pareils. L'originalité a ses limites d'orgueil, et le narcissisme ses frontières d'oxygène.

Alors que l'Humain se banalise par sa différence renforcée, il oublie qu'il est, par nature, unique et infalsifiable. Et moi, l'étais-je? Le suis-je?

Je viens de trouver la réponse à une question que je ne me suis pas encore posée. Je m'appelle Elmerick et je prends parti de cet affligeant syntagme pour terminer mon chapitre.


Je m'appelle Elmerick et je suis mort.

…mais pourquoi?

Addendum Post-Mortem

Une des choses qui m'a toujours fasciné chez l'être humain, c'est sa capacité innée à s'affranchir de l'inéluctable. Arborant les pulsions arrogantes des Eternels, ils finissent par en oublier la nature profonde qui les anime, un paradoxe de non-sens qu'ils ne cherchent pas même à expliquer: la vie. Personne n'est unique, tout le monde le sait, et chacun s'efforce de le taire. Puis, un jour, l'être humain ferme les yeux et se retrouve ici. Inéluctablement.

L'inéluctabilité n'est plus à la mode des philosophies enchanteresses. L'Homme s'est affranchi de la mort, et par là même, il s'est affranchit de la vie. Reniant le poids du mensonge qui permet à son souffle fragile de perdurer, il s'ancre dans l'amnésie du lendemain espérant ne jamais frôler de près ou de loin la pensée sombre de sa dernière heure. Et souvent, le pieux hasard offre la garantie sans contrepartie de la mortalité désuète. Après tout, il n'y a que les autres que cela dérange…

Moi, j'ai touché l'inéluctable. Quelle perte de temps et d'énergie ce fut que de nier le moment funeste! Cette amnésie superfétatoire vient de m'être retournée sur un plateau d'argent, effet miroir garanti, plombage et décadence du mental assurés. Ici, tout semble pareil à là-bas…sauf que "là-bas", j'ai oublié ce que cela voulait dire…

Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas où je vais, moins encore ce que je dois faire. Je ne sais pas pourquoi ici, moins encore pourquoi comme ça. Je ne sais pas comment je fais, je ne cherche aucune raison puisque la raison, certitude absolue, n'existe plus. Je cherche des réponses à des questions que je n'ai pas encore déterminées. On ne m'a légué que quelques certitudes instinctives, guides sans visage ni prose auxquels je ne peux que m'accrocher. Je ne sais pas ce qui va se passer…ni ce que je suis venu tenter de découvrir.

Tout ce que je sais, c'est que je suis mort.

Tout ce que je sais, c'est qu'apparemment, c'est "ça", l'After-Life Effect