dimanche, juin 18

Ego

Il eut été affligeant de devoir débuter un chapitre de mon inconnu par un syntagme aussi insipide que celui qui commence par "Je m'appelle". Lorsque l'on est mort, on ne peut se permettre de lésiner sur le seul artifice de vie qui demeure. Bien loin de me douter que les patronymes pouvaient se révéler d'une quelconque utilité, force est d'admettre que j'en possède un. Il est écrit en toute lettre et me laisse complètement indifférent: Elmerick.

Un nom, un prénom, un surnom, une énigme. Viendrais-je de débusquer la première question à laquelle il me fallait répondre? Celle de mon identité désuète? Ici, tout paraît sans importance, y compris le détail sordide de la dénomination. Pourtant, la sacrosainte identité humaine semble toujours être au cœur de vos préoccupations…est-ce aussi le cas ici?

Avec le recul absolu qui m'est confié – infligé? – j'observe le monde de ceux que je ne suis plus avec une sérénité déconcertante. Après tout, être mort ne sera peut-être pas aussi ennuyeux que je le présageais. Nous dirons donc que mon état de non-vie sera le point crucial de mon identité. Soyons réalistes: combien de personne peuvent se vanter de vive l'After-Life Effect? Aucune. Lorsqu'on le vit, on ne s'en vante pas.

Les êtres humains veulent toujours être plus originaux que leurs voisins. La quête perpétuelle de ce Graal allégorique ne cessera jamais. De vos jours, on assume plus une différence: on la sculpte, on la modèle, on la renforce, on l'extraverti, on la publie officiellement, on en fait l'apologie. Ces corps dérivants sont mus par la pensée extatique de cette identité propre. Tous les moyens sont bons…le sont-ils? A force de vouloir être différents, ils sont de plus en plus pareils. L'originalité a ses limites d'orgueil, et le narcissisme ses frontières d'oxygène.

Alors que l'Humain se banalise par sa différence renforcée, il oublie qu'il est, par nature, unique et infalsifiable. Et moi, l'étais-je? Le suis-je?

Je viens de trouver la réponse à une question que je ne me suis pas encore posée. Je m'appelle Elmerick et je prends parti de cet affligeant syntagme pour terminer mon chapitre.


Je m'appelle Elmerick et je suis mort.

…mais pourquoi?