samedi, août 12

Delirium Tremen'dous

La pure folie est une denrée mortelle, un matériau savamment outillé pour pouvoir traverser l'Humain de part en part, en y laissant une profonde marque, comme un stigmate ensanglanté. Les méandres de ces limbes furent porteurs de cette extravagance: la folie n'est qu'humaine, morte avec eux et délaissée des âmes en dérives. Le paradigme était posé: mort, je ne pouvais être fou. Et pourtant…

Dans mon nulle part intransigeant de fadeur, je guettais celle que vous appelez folie. Pénitente amie, elle transpirait les parfums des échafauds, comme une délivrance atroce et cruelle: celle que l'on respire sans jamais pouvoir y goûter. Et combien voudrais-je être de ceux-là, habiles ou désespérés, qui délirent de bonne fortune, aux aubes claires, aux nuits frigides, aux heures maladives. Et combien! L'allégeance à la folie ne me paraît envisageable qu'en ces moments figés d'After-Life: ceux qui éteignent à jamais l'espérance de s'en voir épris.

Ainsi en était-il de cette ombre dont je ne pouvais plus me détacher. Un échange de serment aura dû brûler de nos cires enlacées, voilà d'ici mon sentiment, perplexe mais féroce. Un serment de sel, un serment d'exile. Tant et si bien qu'au-delà d'une séparation mystérieuse, nous échangeons, sans autre consentement que nos promesses aguerries, ces éclats d'amertumes qui nous brûlent à tour de rôle, et de rôles, nous achèvent. L'ombre, ardemment, priait la folie d'en faire son messie, sa prêtresse, sa guerrière. Alors que mes espoirs étaient vains d'être l'emporté du torrent, je vivais des siens, embués de doutes et d'affliction, mais toujours rougeoyants de leur sinistre existence.

On voudrait plaider la folie, fuir la raison des plus forts, la raison des vaincus, la raison du cœur, ignorance affable. Si j'étais vivant, encore, je me plairais à tutoyer ma folie, à m'en assumer glorieux porteur, à la partager, à la répandre, à l'offrir, même. Tous ces fous que mon regard croise, tous ces anges accrochés à leurs ailes, tous, ils me comblent d'une émotion particulière. Ils se taisent ou s'exclament, ils tuent ou se mortifient, ils vivent de mondes qui ne leur appartiennent pas…mais d'où viennent-ils, dès lors, ces sentiers qu'ils empruntent, périlleux et émouvants, pour revêtir les toiles immaculées, cerclées de cuirs griffés et bouclées de fer rouillé? D'où viennent-ils, ces mondes, sinon d'ici…?

Il me plaisait de penser, de rêver, voire d'espérer, que ma vie s'était achevée pour la folie de l'Autre. Penser, rêver, espérer…les ersatz d'une humanité qui refuse de définitivement prendre congé de mes quartiers flambant veufs. La connaissance acquise n'était pas l'expédient nécessaire à mes vœux de vérité. C'est ainsi que je cherchais mon Autre parmi les folies les plus exubérantes, les plus prestigieuses mais aussi les plus mélancoliques. C'est alors que je sus les battements d'un cœur, les soupirs d'un être fou, noble et délicat. Non que son existence me fut d'une utilité magistrale…mais bien que dans ses souvenirs que je violais sans commune exemption de culpabilité, il y avait mon Autre. S'il m'en avait été donné le présent, j'aurais été ivre et suffisant de mes pouvoirs. Cependant, je n'étais que frustré de la lenteur de mes pas. Mais qu'importe? Voilà mon souhait exaucé: mon Autre est fou…

Et ce qui me plu de savoir, c'est l'éminence de sa folie, seul indice qui siégeait encore dans ces pensées que je profanais sans peine. Mon Autre était parvenu à s'instruire du plus fabuleux délire qui soit, celui que tout dément qui se respecte voudrait atteindre, la perle rare de l'aliénation: être fou jusqu'à en quitter sa vie sans avoir besoin de mourir. La panacée me combla.

Mais ce regard? Son regard? Dans quelle folie était-il donc sculpté et où, diantre, le trouverais-je?