samedi, août 5

Solitude

Etrangement, la mort ne conduit pas aux embrassades soupirées par les vœux éteints des vivants. Non. L'on ne retrouve aucune des conquérantes âmes liées qui, de pied robuste ou de regard immortel, pourraient s'appesantir d'une magistrale arrivée. Rien. La naissance d'après-mort est pareille à la mort d'après-naissance: un souffle, un seul et puis, la solitude. Infinie, sulfureuse et pourtant, futile.

Comment l'Homme, vivant, pourrait-il admettre de plein cœur les bienfaits de cette solitude-ci? De quels abois pourrais-je hurler la bagatelle de ce sentiment? Les lois de l'Absolu ont voulu qu'ici, on soit seul. Communément admise, la réalité paraît dérisoire. Dérisoire face à mes questionnements qui, fourbes d'une arrogance avérée, s'indignent devant mon apathie. Je suis seul, et cela ne me soucie guère. Mais soyons réalistes au moins autant que dérisoires: de quoi, encore, pourrais-je me soucier sinon de ce passé déconstitué qui me hante plus que de raison?

J'ai passé de longues heures à respirer les airs désuets qui se perdaient sur mon tombeau. La solitude ne pèse en rien sur l'espoir. Brave de mon acte accompli, impuni, interdit, j'attendais à présent bien plus qu'un châtiment: une récompense. Celle de voir celui qui, de ma mort, avait pu tirer l'élixir de vie. Aux longues heures arrêtées, j'aurais pu parcourir monts et marais à la recherche de cette lueur, de ces iris magistraux. Mais la providence m'a rattrapé. J'ai laissé les rênes à la destinée, fut-elle maligne ou divine, en remettant les dernières cartes de mon jeu à un plus tard que je voulu indéfini. Et ainsi fût-il accompli que, accompagné d'espoir, il m'était interdit de prétendre, une fois encore, que je me retrouvais seul. M'aurait-on, dès lors, menti?

Si l'on est seul en son âme, il n'en reste pas moins les pensées. Exsangues, les chairs des souvenirs, la doucereuse et bénie nostalgie. Mais les pensées d'un maître présent battent en ma mort d'un profond désarroi. La pâle candeur de l'ombre, aimante, haineuse, me rassérénait la douleur d'une solitude qui n'était pas mienne. L'éphémère lucidité en ses flots sinistres m'avait frappé d'un éclat incertain. Celui d'un devoir. En son nom émérite: la culpabilité, vile et inutile. Du moins, c'est ce qu'en définissaient mes principes gravés de cire et de souffre. Observant le lys dépérir, je vis en cette allégorie une immuable réalité: ce lys se mourrait sur ma défunte nature. Mon trépas n'était pas que sourde inéluctabilité. Il était bruyant accablement. Preuve en fut que de ce pouvoir que l'on m'avait abandonné, je décidai que sur la pierre de mon dernier hommage, il tomberait les larmes que je ne pouvais plus verser. Et sans appel, je décidai que ces larmes seraient belles. Ainsi en fut-il de cette pluie. Je le su et ne le compris jamais.

J'étais mort pour quelqu'un, pourtant abjecte et mesquin, et tout semblait converger vers l'auguste certitude que j'étais mort par quelqu'un. Un état de fait qui, rappelons-le, m'avait été livré par une seconde, seulement, d'odieuse impertinence. Mais l'autre révélation m'était tout aussi insupportable: si l'ombre me portait cette haine épurée, distillée d'un amour inqualifiable, n'eût-il pas été raisonnable de me dire que sous cette fleur de lys décharnée, un cœur qui ne pouvait-être que mien s'agitait encore d'un sentiment innommable? Et n'eut-il pas été sensé, encore, de penser que celui-là, peut-être, me tenait en âme et conscience dans l'inconnu qui porte ces mots? Mes mots.

Alors que j'allais me décider, chevalier des aubaines, à m'épancher sur les traces de l'ombre, je ne sus que par instinct que le regard qui, lui aussi m'abreuvait d'inassouvi, s'approchait à pas éthériques de ma modeste désincarnation.

L'After-Life Effect, c'est l'illusion de la solitude, l'espoir de l'isolement…mais la déconvenue limpide d'un éternel tourment: celui de devoir souffrir la solitude d'autrui au point d'en haïr son propre exil…