mardi, août 22

Requiem Apostolique

Ce regard fou, je n'aurai dû souffrir d'aucune éreintante conquête pour, finalement, m'en fondre de répit. Dans ces fonds éthériques, il demeure possible et d'une évidence particulière de ne plus s'attendre à rien. Conséquence d'une abusive désinvolture charnue de dilettante? Peu importe. L'on attend plus que le moment scintillant ou l'espoir se meut en réalité voluptueuse. Rien.

Je ne suis forcé d'aucune demeure, de nulle chaine sédentaire. Pourtant, le temps des airs a voulu que je me fasse locataire de cette vision posthume: celle du dernier lit des mes entrailles. Ainsi en soit-il. S'échapper, mortel, au bout des landes et des ravines terreuses n'avaient pas de sens commun pour ma condition: patience et longueur de temps n'étaient point offices de force et de rage. Tout viendrait à moi puisque, ici, il n'était pas fastueux de songer que tout était dû. Il arrivait à grandes enjambées, agonisant de l'air humide, glacé, qui imprégnait ses poumons d'un mal intempérant. Fuyard, à n'en point douter, il fit frémir les écarlates dépouilles végétales des peupliers, et jusqu'à moi ce frémissement s'imposât. Et de s'imposer, m'en ôta ma prison de silence.

Le temps ne s'était pas écoulé depuis mes premiers instincts pressentis: il m'avait cherché, sans peine aucune avait pourfendu ses liens et d'un courage assommant, n'avait eu de vie que pour, ici, poser à terre le genou. Ces pas d'éther, je les avais nourris de mes visions chaotiques. L'Autre me toisait. Non pas ma dépouille, mon tombeau, mes lettres anoblies d'un seul trait doré. Non. Moi. De son regard affolé, de sa non-vie de blasphème, il admirait, sans le savoir, l'After-Life Effect s'incarnant en ma modeste disparition.

La logorrhée qui surgit alors de sa gorge brûlée me rappela ces litanies sans consonne ni voyelle que les pénitents des quatre vents perdaient au gré des pluies. Chapelets de murmures incessant, l'Autre priait un dieu dont il ne savait rien d'autre que son brutal et décimant acharnement. Si tous les fous ne sont pas pieux, s'avèrerait-il que tous les pieux soient porteurs de folie? Attentif à son chant religieux, autant qu'à son visage laminé de honte et de douleur, j'exécrais de plus belle les dérivées latines de ces proses funambulesques dont le sens, à défaut d'absoudre péchés et transgressions, amenuisait les traces, indélébiles cependant, d'une déchirante culpabilité.

J'étais mort pour quelqu'un. Pour lui. Pour mon Autre. Dans son phrasé ininterrompu, je décelais cet amour dépendant et dévoué qui, s'il n'eut été celui-là, m'aurait gonflé d'un orgueil affable. Il parlait de secret, de vœux accompli, de prophétie et d'exubérances christiques. Il embrassait, frénétiquement, un crucifix de bois en encolure. La haine qui resurgit alors fut grandiloquente. Je crachais, littéralement, sur ces traditions fanées, poison d'une morale qui, par défaut d'introspection et de rigueur, se dessinait dans la peur de l'accompli, la frayeur des peines capitales, l'effroi des flammes d'un Enfer qui se trouvât plus insipide que jamais.

Puis soudain, son cœur s'arrêta. La fraction de seconde ne pouvait s'apprécier qu'en mon royaume et je me pris à la savourer. En cet écrin battant, j'entendis ces mots hurlés par-delà la raison. Des mots qui le rendait coupable, qui le rendait vengeur et l'emplissait d'une mission céleste: s'acquitter de mon présent de mort par celui d'une autre. Il n'était ni pieux, ni fou. Seulement cerclé des barbelés d'une étrange dévotion. Mon silence rompu - à jamais, m'en fit-il croire!- je pu déceler ces émérites paroles:

Elle est donc déjà venue. Elle a dû pleurer tes larmes sur ce lys. Tel est son châtiment pour t'avoir aimé autant qu'haï. Elle se meurtri de questions. Et moi, jusqu'à mon acte accompli, j'en tairai les réponses puisque, comme tu l'as dis, il le faut, et que c'est ainsi.

Et puisqu'il le fallut, c'est ainsi que ce fut…

samedi, août 12

Delirium Tremen'dous

La pure folie est une denrée mortelle, un matériau savamment outillé pour pouvoir traverser l'Humain de part en part, en y laissant une profonde marque, comme un stigmate ensanglanté. Les méandres de ces limbes furent porteurs de cette extravagance: la folie n'est qu'humaine, morte avec eux et délaissée des âmes en dérives. Le paradigme était posé: mort, je ne pouvais être fou. Et pourtant…

Dans mon nulle part intransigeant de fadeur, je guettais celle que vous appelez folie. Pénitente amie, elle transpirait les parfums des échafauds, comme une délivrance atroce et cruelle: celle que l'on respire sans jamais pouvoir y goûter. Et combien voudrais-je être de ceux-là, habiles ou désespérés, qui délirent de bonne fortune, aux aubes claires, aux nuits frigides, aux heures maladives. Et combien! L'allégeance à la folie ne me paraît envisageable qu'en ces moments figés d'After-Life: ceux qui éteignent à jamais l'espérance de s'en voir épris.

Ainsi en était-il de cette ombre dont je ne pouvais plus me détacher. Un échange de serment aura dû brûler de nos cires enlacées, voilà d'ici mon sentiment, perplexe mais féroce. Un serment de sel, un serment d'exile. Tant et si bien qu'au-delà d'une séparation mystérieuse, nous échangeons, sans autre consentement que nos promesses aguerries, ces éclats d'amertumes qui nous brûlent à tour de rôle, et de rôles, nous achèvent. L'ombre, ardemment, priait la folie d'en faire son messie, sa prêtresse, sa guerrière. Alors que mes espoirs étaient vains d'être l'emporté du torrent, je vivais des siens, embués de doutes et d'affliction, mais toujours rougeoyants de leur sinistre existence.

On voudrait plaider la folie, fuir la raison des plus forts, la raison des vaincus, la raison du cœur, ignorance affable. Si j'étais vivant, encore, je me plairais à tutoyer ma folie, à m'en assumer glorieux porteur, à la partager, à la répandre, à l'offrir, même. Tous ces fous que mon regard croise, tous ces anges accrochés à leurs ailes, tous, ils me comblent d'une émotion particulière. Ils se taisent ou s'exclament, ils tuent ou se mortifient, ils vivent de mondes qui ne leur appartiennent pas…mais d'où viennent-ils, dès lors, ces sentiers qu'ils empruntent, périlleux et émouvants, pour revêtir les toiles immaculées, cerclées de cuirs griffés et bouclées de fer rouillé? D'où viennent-ils, ces mondes, sinon d'ici…?

Il me plaisait de penser, de rêver, voire d'espérer, que ma vie s'était achevée pour la folie de l'Autre. Penser, rêver, espérer…les ersatz d'une humanité qui refuse de définitivement prendre congé de mes quartiers flambant veufs. La connaissance acquise n'était pas l'expédient nécessaire à mes vœux de vérité. C'est ainsi que je cherchais mon Autre parmi les folies les plus exubérantes, les plus prestigieuses mais aussi les plus mélancoliques. C'est alors que je sus les battements d'un cœur, les soupirs d'un être fou, noble et délicat. Non que son existence me fut d'une utilité magistrale…mais bien que dans ses souvenirs que je violais sans commune exemption de culpabilité, il y avait mon Autre. S'il m'en avait été donné le présent, j'aurais été ivre et suffisant de mes pouvoirs. Cependant, je n'étais que frustré de la lenteur de mes pas. Mais qu'importe? Voilà mon souhait exaucé: mon Autre est fou…

Et ce qui me plu de savoir, c'est l'éminence de sa folie, seul indice qui siégeait encore dans ces pensées que je profanais sans peine. Mon Autre était parvenu à s'instruire du plus fabuleux délire qui soit, celui que tout dément qui se respecte voudrait atteindre, la perle rare de l'aliénation: être fou jusqu'à en quitter sa vie sans avoir besoin de mourir. La panacée me combla.

Mais ce regard? Son regard? Dans quelle folie était-il donc sculpté et où, diantre, le trouverais-je?

samedi, août 5

Solitude

Etrangement, la mort ne conduit pas aux embrassades soupirées par les vœux éteints des vivants. Non. L'on ne retrouve aucune des conquérantes âmes liées qui, de pied robuste ou de regard immortel, pourraient s'appesantir d'une magistrale arrivée. Rien. La naissance d'après-mort est pareille à la mort d'après-naissance: un souffle, un seul et puis, la solitude. Infinie, sulfureuse et pourtant, futile.

Comment l'Homme, vivant, pourrait-il admettre de plein cœur les bienfaits de cette solitude-ci? De quels abois pourrais-je hurler la bagatelle de ce sentiment? Les lois de l'Absolu ont voulu qu'ici, on soit seul. Communément admise, la réalité paraît dérisoire. Dérisoire face à mes questionnements qui, fourbes d'une arrogance avérée, s'indignent devant mon apathie. Je suis seul, et cela ne me soucie guère. Mais soyons réalistes au moins autant que dérisoires: de quoi, encore, pourrais-je me soucier sinon de ce passé déconstitué qui me hante plus que de raison?

J'ai passé de longues heures à respirer les airs désuets qui se perdaient sur mon tombeau. La solitude ne pèse en rien sur l'espoir. Brave de mon acte accompli, impuni, interdit, j'attendais à présent bien plus qu'un châtiment: une récompense. Celle de voir celui qui, de ma mort, avait pu tirer l'élixir de vie. Aux longues heures arrêtées, j'aurais pu parcourir monts et marais à la recherche de cette lueur, de ces iris magistraux. Mais la providence m'a rattrapé. J'ai laissé les rênes à la destinée, fut-elle maligne ou divine, en remettant les dernières cartes de mon jeu à un plus tard que je voulu indéfini. Et ainsi fût-il accompli que, accompagné d'espoir, il m'était interdit de prétendre, une fois encore, que je me retrouvais seul. M'aurait-on, dès lors, menti?

Si l'on est seul en son âme, il n'en reste pas moins les pensées. Exsangues, les chairs des souvenirs, la doucereuse et bénie nostalgie. Mais les pensées d'un maître présent battent en ma mort d'un profond désarroi. La pâle candeur de l'ombre, aimante, haineuse, me rassérénait la douleur d'une solitude qui n'était pas mienne. L'éphémère lucidité en ses flots sinistres m'avait frappé d'un éclat incertain. Celui d'un devoir. En son nom émérite: la culpabilité, vile et inutile. Du moins, c'est ce qu'en définissaient mes principes gravés de cire et de souffre. Observant le lys dépérir, je vis en cette allégorie une immuable réalité: ce lys se mourrait sur ma défunte nature. Mon trépas n'était pas que sourde inéluctabilité. Il était bruyant accablement. Preuve en fut que de ce pouvoir que l'on m'avait abandonné, je décidai que sur la pierre de mon dernier hommage, il tomberait les larmes que je ne pouvais plus verser. Et sans appel, je décidai que ces larmes seraient belles. Ainsi en fut-il de cette pluie. Je le su et ne le compris jamais.

J'étais mort pour quelqu'un, pourtant abjecte et mesquin, et tout semblait converger vers l'auguste certitude que j'étais mort par quelqu'un. Un état de fait qui, rappelons-le, m'avait été livré par une seconde, seulement, d'odieuse impertinence. Mais l'autre révélation m'était tout aussi insupportable: si l'ombre me portait cette haine épurée, distillée d'un amour inqualifiable, n'eût-il pas été raisonnable de me dire que sous cette fleur de lys décharnée, un cœur qui ne pouvait-être que mien s'agitait encore d'un sentiment innommable? Et n'eut-il pas été sensé, encore, de penser que celui-là, peut-être, me tenait en âme et conscience dans l'inconnu qui porte ces mots? Mes mots.

Alors que j'allais me décider, chevalier des aubaines, à m'épancher sur les traces de l'ombre, je ne sus que par instinct que le regard qui, lui aussi m'abreuvait d'inassouvi, s'approchait à pas éthériques de ma modeste désincarnation.

L'After-Life Effect, c'est l'illusion de la solitude, l'espoir de l'isolement…mais la déconvenue limpide d'un éternel tourment: celui de devoir souffrir la solitude d'autrui au point d'en haïr son propre exil…