samedi, septembre 16

Colère

Immense et émérite, je l'ai sentie s'arrimer à mes cordages, s'épancher sur ma déraison, se languir de mes écarlates pensées. Alors qu'un nouveau vide se dessinait, plus profond et intense que les précédents, la vision, hécatombe filée de ma dépouille, avait déchiré mes intimes perceptions. La remise en question ne fut que brève et soupira d'un geyser bouillonnant. La colère.

En une seule vision, eut-elle été une seule phrase, un seul mot, je vis en moi s'étendre le frisson d'un sentiment à la fois excitant et voluptueux, puissant et incontrôlable, subtile et rude. La colère est une illusion parfaite. Un mélange divinement démoniaque entre la haine et la peine, onctuosité sirupeuse de l'impossible alliance. La colère est une illusion; mais à ce point éreintant d'affliction qu'il me fut impossible de m'en défaire.

En mes veines exsangues, je ressentais la trahison, celle d'un respect perdu, effacé, égaré au gré des marées. Jusque dans mes heures ternies, on me lestait de reproches inconsistants. La faiblesse était au cœur de leurs pensées: ils crurent bon de se défaire de mes présences nombreuses, de mon absence infinie, en égarant mon image dans les limbes de mémoires secrètes. J'admis volontiers ne connaître aucun prétexte…mais peu importa! Nul explication n'aurait su étouffer ses effluves intérieures, brûlantes de n'être que celui d'un hasard, celui d'un moment, celui d'un instant.

Le doute me pris. Etais-je mort pour rien? La raison de mes silences était-elle une frivole folie? Aurais-je été de ceux qui aiment à s'en couper les veines et qui d'aimer outre mesure, finissent par se mortifier l'âme à en flétrir d'inconvenues? Le doute. Insidieux. Il attisait la colère avec tant d'insistance que j'en oubliais même sa nature perfide et fallacieuse. L'opprobre s'abattit sur mon souvenir.

Je me sentis l'envie d'user de mes compétences pour exprimer, d'une manière ou d'une autre, le Styx acide qui me pourrissait la non-existence. Rien. J'appris dès lors que la colère, invective, me condamnait à une pathétique neurasthénie. J'eus pitié de celui que je n'étais plus. Pitié de celui-là qui avait livré son cœur, tant à l'Amour qu'à la Mort, pour se voir récompensé du mépris, du MEPRIS, sulfureux antidote de sombres peines que jamais je ne cautionnerai. L'inconscience ne me parlait guère, j'étais ivre de mon tempérament d'humain imparfait. Je n'excusai pas. La vie n'était pas assez longue pour ça.

Qui sait, demain, les braises s'éteindront à la lueur de réponses nouvelles, d'un vide comblé, d'un regard offert, d'une parole étouffée. Qui sait? Mais l'heure ne m'abreuvait que du mépris de ces personnes qui, trop orgueilleuses de me voir ainsi, pour ELLES, me mourir, avaient choisi la voie de l'ignorance. Je n'étais plus qu'un pion modelé, savamment placé sur l'échiquier de leur égide égocentrique. Pour l'un, j'étais le but, le début et la fin, l'objet à venger, l'espoir de salut. Pour l'autre, j'étais l'haïssable, le perfide, le lâche qui s'encouru de ses promesses sous prétexte de sauver une vie. Pauvre, pauvre de lui.

L'agonie se prolongea en une pensée fatidique et déplorable. Ce soir, comme les autres avant, comme les suivants et ceux d'ensuite, ils fermeraient les yeux sans savoir, sans admettre. Aveugles et sourds à leurs propres oripeaux de mensonges, ils se laissaient porter par les nuits sans lune. Sans savoir, sans admettre.

Et pourtant…la colère ne mentait pas. Une brisure. Innocente.

Futile?

Non.

Et de raison, je craignis en mon désarroi de douleur qu'ils s'en cachent et que de lâches, il n'en fut de plus sublimes.

vendredi, septembre 15

Trahison

Trop vite. Ils sont arrivés bien trop vite. La terre a tremblé de sa fuite et mon âme de sa désertion. Déterminé à le reprendre, à le transpercer d’une cruelle intolérance, leurs tuniques immaculées n’auront su balayer la noirceur de leurs desseins. Ignorance appesantie, les pantins d’une sordide mascarade s’en marchaient, déliquescents, d’un nouvel échec…et mat !

Mon Autre fuyait. Il fuyait sa vie, il fuyait ma mort, il fuyait la haine d’une ombre, innommable. Il fuyait les écorchures d’une plume, les épanchements scripturaux qui, tout portait à le croire, se pavanaient en acte ultime de mes macabres intentions. Sa fuite ne prenait fin qu’au pied des murailles de ce désir incandescent : la vengeance. Mais au fond, les nuits étiolées de nos trop courts sommeils ne scandaient qu’un seul leitmotiv, celui de la trahison.

La trahison, bien que banale et dérisoire, aura su être sublimée au cours de cette Histoire que l’homme a faite sienne. En toute guerre, en toute paix, on a toujours trahi promptement, au nom de sépulcres combles, au nom de sinistres démons, au nom de rien. La trahison demeure cet acte anobli par les esprits enivrés de pouvoir, cette lame grossière et dépolie qui blesse, abîme et arrache bien plus qu’elle ne tranche. Tous les traîtres ont craché leur venin écoeuré sur le fléau…jusqu’au jour béni de leur allégeance au vice. Et pourtant ! J’y mettais peine et acharnement, force et déraison, mais au fond de mes abîmes noirâtres, rien ne ressemblait à ces élans acclamés d’impudeur. En quoi donc sentais-je ma peau marquée du sceau de la traîtrise infâme ?

Telle une vague soudaine et déferlante de candeur, j’entendis les balbutiements de l’ombre qui clamait l’impossible pardon. Suivant mon Autre au cœur de folies plus sombres encore que ses sinistres intentions, je vis dans ses yeux ce qui ne quittait plus les siens. Cette vision, instant figé dans une éternité qu’on eut voulu pourfendre, m’aurait sans aucun doute livré au trépas si, déjà, je n’avais été où je suis. Réunion tragique dans un instant précaire, j’admirais en témoin privilégié les écumes de passés qui infligeaient leurs acides souvenirs aux vivants, bien plus qu’aux morts.

Dans ses yeux à Lui et son corps crispé de détresse, je ne pouvais que lire la chute incessante dans le gouffre qui, à ce même instant, c’était présenté, béant, avec l’insigne déshonneur d’emporter sa vie, sa raison, ses effluves de mémoire et ses songes dorés. Dans ses yeux à Elle, dans ses paumes blessées, dans ses genoux griffés par les pierres acérées, entre ses lèvres rougies, je ne voyais que la colère, la violence d’une tempête chagrine, le regret naissant de l’inaccompli, de l’inassouvi, de l’inachevé. Et en toutes formes, toutes couleurs, toutes émotions, toutes secondes, je m’assourdissais de cris, de désespérances et de déconvenues : j’avais trahis l’Amour et l’Amitié.

Dans mes yeux clos, ma poitrine empourprée, mes membres raidis ; dans le blanc d’une lame transperçant mes entrailles, dans la scène désinvolte de mon dernier battement de cœur, je ne pu que comprendre la nécessité de mon acte. On m’offrait, enfin, le délice de ma suprême pulsation, soufferte par ces regards ; les regards de deux êtres que l’After-Life Effect, malgré l’omnipotence de son concept, n’avait pu bannir de ma mémoire emportée. Je me sentis étouffé d’une exaltation particulière, celle d’un savoir qui n’était dû qu’à moi.

Alors qu’en mes dernières onctions, je gravai définitivement l’inconnu terrassé, je compris en ce moment de sordide inconvenance que rien, jamais, n’aura été si proche de cette trahison-là que l’Amour et l’Amitié qui, uniques et forgées d’argent, n’auraient pas même dû porter ces substantifs usés. J’avais trahi. Non pas en mon nom, mais en celui d’un destin de mort que j’avais provoqué en duel, combattu et vaincu au seul prix ridicule de mon existence.

J’avais trahi la mort et Elle ne semblait pas, pour l’heure, prête à me le pardonner.