jeudi, juillet 27

Ephêmeros

Tout devrait être éphémère. Ce n'est ni un souhait capricieux, ni une philosophie d'outre-nuit. C'est un constat mûr et châtié, enfanté de mon expérience de demi-mort. La longueur engendre la langueur, la langueur, la lassitude…et avec elle, la répugnance par l'ennui. Le genre humain est accablé de cette pandémie, ou plutôt, devrais-je dire, il s'en accable par lassitude…le cercle, vicieux, est bouclé.

Je n'ai jamais été aussi épicurien que dans l'After-Life Effect. D'ailleurs, l'épicurisme dans sa plus pure définition ne saurait s'apprécier du vivant: pour cueillir le jour et en connaître la profonde signification, l'on se doit d'être mort. Logique implacable. Ceci dit, en s'opposant formellement au concept d'éphémérité, néologisme approprié, l'Homme en oublie la délicate et vacillante nature de sa courte vie: celle du temps impartis, lourd et secret, à consommer avec la modération des dieux…à savoir, aucune.

L'ombre avait depuis longtemps disparu dans un néant de pensée quand je détournai le regard de ma race abandonnée. Des heures avaient dû mordre les poussières alors que pour moi, l'unique seconde d'un trépas inadmissible se refusait de perdre sa dernière bouffée.

Je savais.

Dans le cœur meurtri et haineux qui venait, de mon point de vue, de quitter la stèle anthracite, il y avait une image, figée, indélébile, malmenée. Il fallut, plus encore qu'il eut dû, que ce portrait me représenta, moi, Elmerick. Il fallut que dans cette vision, je ne sois pas seul. Il fallut que dans cette vision, il y en ait un autre. Un autre dont je ne savais rien mais dont le regard feutré d'une rare profondeur venait de me blesser. Non pas à mort mais bien "au-delà" de cette dernière.

Je sus, dès lors, que malgré mes inspirations à la folie délictueuse, mon mal gangreneux et mes intentions perverses, je n'étais pas mort en égoïste satané, comme j'aurais pu jusqu'alors le supposer. Je sus, dès lors, que je n'étais pas seulement mort à ma bonne cause…mais également à celle d'un autre. Un autre dont je ne sais que le regard, profond, par delà ma défunte existence.

Tout devrait être éphémère et l'ombre ne pouvait l'admettre. Mais pis encore, elle ne pouvait admettre que moi, je m'en fis un credo. Elle avait craché sa haine sur mes entrailles, s'aseptisant d'autant d'un amour insupportable. Oui, si l'ombre pouvait aussi noblement me haïr, c'est qu'elle m'avait tout aussi noblement aimé. Et si par son âme charriée, j'avais découvert des bouts d'un moi qui n'était plus, ce n'est que parce que l'éphémère si était imposé.

Au fond, le choix, l'avis, l'envie ne se posent en rien. Tout est éphémère moyennant le terme de la digression. Notre vie, comme celle des autres. Nos pensées, nos haines, nos ébats pittoresques. J'aurais pu mourir consumé par les feux de bûchers mitoyens: celui d'un regard extatique, celui d'un regard trahi. Trahi d'une éternité terrassée au nom d'un Autre que l'ombre n'était pas.

Tout est éphémère. Même la mort…lorsqu'elle est mise sur le compte de l'Infini.

Tout est éphémère. Et le principe ne demeurait qu'à s'appliquer à mon interrogation nouvelle: j'étais mort pour quelqu'un…mais étais-je mort…par quelqu'un?

Je laissai l'ombre s'envelopper du satin de nuit. Je ne cherchais plus qu'un regard. Blessant. Profond. Juste un regard...qui comme tout le reste…ne pouvait être qu'éphémère…

jeudi, juillet 6

Miserabilis

Les lois suprêmes de l'univers siègent dans une inconscience que, par définition, l'on ne connaît que trop peu. Ces lois ferrées comme un sabot au creux de l'âme sont irrémédiablement scellées à ma condition de non-vivant. L'After Life Effect est un équilibre sadique entre pouvoir et accablement, où l'éternité est seule juge de la frustration indomptée. Ici, tout est possible et rien n'est permis. C'est ainsi qu'il était consigné que je n'avais aucun droit…

Et pourtant…

Le lys posé sur mon tombeau n'avait pas la douceur d'une larme versée mais la puissance d'une lame reluisante qui aurait pénétré les chairs pécheresses, inculpant la punition la plus cruelle: celle de la culpabilité. Lorsque la forme agenouillée avait craché lamentablement sur mon tombeau, j'avais ressenti la colère enfouie sous la dalle avec mon corps flétri. Les déroutes de l'intimité étaient miennes: pénétrant en son sein, je laissai le corps répugné de cette figure fantomatique me montrer mon propre chemin. Une seconde, une seule, interdite mais de délivrance, allait déterminer la nature de cette molle blancheur de lys…

Je le pris…

Je le pris, ce droit de violer une âme anonyme au prix de je ne savais quel châtiment. Au prix de la vérité. Au prix de cette vérité: la haine. On me haïssait d'une noble manière. Pas de ressenti ou d'accusation frauduleuse, pas de vengeance insensée ou de périple salutaire, ni même l'affront d'avoir laissé, délaissé ou abandonné. Non, on me haïssait pour la plus juste des causes: parce que j'étais mauvais et que, au fond, cela ne m'avait jamais dérangé.

Mis aux abymes, je découvrais, en brisant les règles, que j'étais mort et haïssable, qui plus est, à juste titre. C'est alors que les reliquats d'une culture morte me revinrent à l'esprit et me permirent de transpirer des images séculaires. Le fait d'être mauvais ne me dérangeait nullement…mais pourquoi, dès lors, n'étais-je pas en Enfer? Et si l'Enfer, c'était ça? Bredouiller de quelque passé inconsidéré, forcer le chemin d'un pouvoir immensurable auquel l'Absolu contraignait de ne point recourir. Si c'était l'Enfer, l'augure était adapté à mon silence et me convenait d'autant.

Etre mauvais n'était qu'une condition comme une autre. Certains se targuent de la gentillesse la plus mirifique, d'autres d'une éreintante curiosité, d'autres, encore, d'une empathie sans borne. Moi, aux côtés de tous ces êtres adjectivés, j'étais celui qui, à défaut de s'en vanter, s'assumait peu vertueux, immoral et dépourvu de conscience. Je pouvais même m'assurer du vide de culpabilité dans ma poitrine battante du souvenir. En tant que dignitaire de possession maligne, je n'avais de scrupules que ceux de l'inachevé. L'inachevé dans le pouvoir offert et encerclé d'épines.

J'attendis la punition.
Elle ne vint jamais.

Mort et haïssable
Libre de pouvoir.

Une bien dangereuse combinaison contre laquelle l'Absolu n'avait, de fait, rien pu faire.

L'ombre s'enfonça dans les allées du cimetière. Je la suivi sans peine. Pour savoir. Juste savoir.

Et vint le moment où…

Je sus.