lundi, décembre 11

Meurs

Ce qui m’enivra, et m’assomma d’autant, c’est la tangible frivolité de l’acte. Les primitives pensées de mon arrivée ici me rattrapaient. J’étais mauvais, ou tout du moins, je portais en moi le côté sombre de l’inavoué. Et durant mon exploration philologique, la présence indéniable de ces ténébreuses vérités avait faillit m’échapper. On n’échappe pas à son passé, même dans la mort acquise…

Qu’il est bon et délectable, fastueux et transcendant, de s’approprier la pépite par delà la gangue. La toute puissance me montait à la tête, j’en fus bientôt convaincu. Mais l’orgueil pouvait-il s’amarrer sans affliction aucune ? M’était-il compté les heures aveugles de mon hégémonie égotique ? Mes illusions profanes se targueraient-elles d’un sordide avortement ? Je n’en sus rien. Après tout, si telle fut ma nouvelle patrie que je pus, en mes mémoires et volontés, en disposer de plein fouet, que me restait-il à craindre ?

L’Homme, puissant instigateur du « si » originel, exalté de l’inconditionnel passé, nourrit le rêve souvent imprononçable de voir les limites de son horizon disparaître. Il part, il fuit, il s’indigne, souvent. Il emprunte des chemins inconnus et s’affranchit de ses peurs pour en rencontrer de nouvelles. Il abreuve son ego de postulats indémontrables, dédaigneux du regret, de la crainte, des peccadilles de son maussade quotidien. Son espérance est belle de naïveté ! Et jamais je n’aurais pu en clamer autant si, d’ici, je n’avais observé telle impertinence.

Depuis mes cendres de naissance, j’avais dû rassembler la panacée des sensations humaines, ersatz indésirables de mon éternelle condition. J’en dressai la liste, comme pour mieux savourer l’étendue du blasphème. En qualité de déshumanisé, je m’étais épris d’une violente nostalgie. Et dans mon innocence, presque aussi attendrissante que celle des vivants, j’y voyais l’opportunité de me faire ce martyr des ondes macabres et d’un jour, peut-être, savourer une renaissance que j’aurais assidûment désirée. Mais voilà qu’à l’instant, le goût de sang me revint. Et voilà qu’en ce moment, je n’y vis qu’un tableau de maître, un péché véniel, une ambroisie défendue que l’humain que je fus offrit à son âme.

Admettons-le ! Si de là, mes grisantes capacités sont d’incompréhensibles libertés, d’ici, la vision éclairée d’un recul imposé m’en fit porter un jugement plus habile. Quoi de plus capiteux que le dépouillement d’une vie ? Quoi de plus approprié pour fustiger les maudites limites ? On y posa péremptoires apophtegmes : si d’une vie, au moins, je m’étais défait, ce ne fut que pour accomplir béatement mes instincts de grandeur. Au fond, j’étais plutôt fier de moi. Qu’ici, je ne ressente de culpabilité d’aucune sorte, rien ne m’en étonna. Mais qu’à la suite d’une glaciale percussion, mon corps d’antan n’ait frémi que d’un contentement épuré, là était la véritable preuve d’une nature inconditionnelle.

La foi était grande. Je n’avais pas assisté à mon enterrement, bien mal m’en pris, mais la certitude m’était acquise. Il ne demeurait plus une seule faute dont je ne fus absous. Bien que je ne fus point enclin à recevoir l’extrême onction en des temps adéquats, qui que ce fut, glissé dans sa pourpre tunique, me légua le pardon absolu, sans condition aucune. Parvenu en l’After-Life pur et sanctifié, la liberté fut mienne de recomposer avec mon karma et d’iriser mes sordides pensées.

Que me prit-il ? Une soif de connaître mes droits, faisant fi de quelconques devoirs. J’étais plus humain que jamais. Preuve en est que je refusai d’admettre cette élégante calamité. Il me fallait déterminer si l’Absolu lui-même n’était qu’un livre refermé sur les liturgies emblématiques du révolu.

Je le choisis au hasard. Il se pressait vers une destination que je préférai ignorer. Je sus son nom, son âge, sa vie. Une seconde, encore, m’avait suffit. Je m’en épris. Le moment approchait, je m’en savais maître absolu. Absolu ? Il pensa acheter des cigarettes et s’approcha du bar-tabac. Son tympan ne palpita que d’un dernier mot.

Je prononçai distinctement : « Meurs ».

Et devant le Monde, autant que devant moi, il s’écroula sur le sol. Mort.

Il en fut comme je l’avais voulu.

Et plus jamais je ne recommençai.

Jamais plus.