Incertitude
Elle me fit apatride, exilé, père du vide. Coriace et vengeresse, elle s’abattit sur moi, sordide réalité, paralysante calamité. Tu te fis mienne, satanée guenille. Porte ton nom et tes blessures assassines loin de mon désert. Repose-toi sur d’autres tombeaux, lâche ta putride vindicte et défais-toi de mes oripeaux d’être déchu. Je ne veux pas de toi. Tes lettres sur ma langue sont autant d’épines qui froissent et meurtrissent. Toi, l’Incertitude…
Je suis né d’un rêve qui ne fut pas mien. Ecorché de douloureuses esquilles, je m’accable de mon ivresse éclatante. Celle d’avoir rompu le pacte Absolu et de renouer avec cette interdite nature humaine. Immortelle mémoire, ma foi semble renaître de cendres jamais consumées. Mon être s’ébranle du souvenir et souffre sa peine dans le silence de mes entrailles. Amen.
Le souvenir est une jouissance innommable. Lorsque, reclus dans l’infini du doute et du questionnement, les images impétueuses refont surface et s’indignent de plus belle en trombes acides, les tourments s’en nourrissent et s’en apaisent quelque peu. Je n’étais plus mort, mais prisonnier. Hélas ! La pensée m’accapara d’un bout à l’autre de mon silence et m’encercla de sa pesante agonie. J’étais un martyr post-mortem, une victime de l’au-delà, un vaillant persécuté. J’accordai à mon oppression le respect le plus impeccable : la mort est plus facile à vivre lorsqu’on s’en fait la malheureuse proie.
Je suis né d’un rêve qui ne fut pas mien ! Preuve en est qu’en ces inextricables méandres, l’Absolu se fit incompétent ou tortionnaire. Que l’Homme dans sa petitesse soit soumis à l’incertitude m’apparut comme implacable logique. Après tout, c’est dans les choix et le renoncement que celui-là qu’on appelle humain trouve ses forces et ses faiblesses, ses joies et ses regrets. L’incertitude, là-bas, est une épreuve quotidienne tissée des fils dorés de l’inattendu. Que soit ! Mais j’estimai soudain que mon dû n’eut pu qu’être versé avec ma vie écoulée, sacrifiée et saccagée. J’étais ferme en mon invective : ma vie avait transpiré de suffisamment d’incertitude pour qu’ici, encore, j’en sois foudroyé. Me vint à l’esprit que cette vie-là dont je clamais si fort la grâce, je n’en avais que quelques images clairsemées.
Puisqu’il en fut ainsi, rebelle en ma mort et conscience, je parti à la conquête d’un autre rêve, d’un autre souvenir, d’une vitre brisée, d’une main enlacée, d’un éclat de rire, de pleurs en éclat. Fallait-il me concentrer ? Fallait-il le décider ? Ou encore retrouver mon Autre ? Mon Ombre ? Les implorer encore et murmurer en leurs esprits la détresse de mes heures de bannis ? Je m’accrochai à mes souvenirs retrouvés, à cette image de ma mort, à cet Autre et à ces pensées, à mon tombeau, à sa visite, à ma rencontre avec elle au jardin des miroirs, à ces pas langoureux qui se perdaient jadis…je me souvenais ! Oui . Je posais l’acte commun sans aucun soupçon de culpabilité. Je me souvenais sans en craindre les châtiments, les douleurs qu’ici, toujours, l’on ressentait. Je me souvenais pour mieux me souvenir. Plus, et plus encore.
C’est là que tout bascula.
Je vis un regard, profond et terrifié, rempli de larmes noires, de la colère d’un dieu déchu. Je vis la chevelure défaite, le rouge qui empourprait les lèvres. Je sentis les ongles pénétrer ma chaire et meurtrir mon torse. J’entendis susurrer quelque auspice de malédiction. Ma main droite serrait un revolver. Sa froideur m’avait engourdi les phalanges. Elle accepta sa destinée. Moi la mienne. Le canon sur sa tempe, je pressai la détente sans commune indifférence. Le sang s’étala sur un tapis chamarré, bientôt rejoint par le corps sans vie. Je ressenti une infime satisfaction. Une tâche accomplie. Plus rien.
Quand je rouvris mes imaginaires paupières, l’incertitude m’avait fuit. Je l’avais confondue par une victoire passée, une victoire sur elle et sa condescendance. Elle savait que cette nuit-là, elle n’eut aucune emprise sur moi. Je venais de briser l’oubli, son seul salut. Je n’avais plus pour moi que le silence du sang qui avait été versé. Et de ma main, et par ma main.
Je suis né d’un rêve qui ne fut pas mien.
Je ne pus que mourir dans la quiétude d’avoir rendu ce qui ne m’appartenait pas.
Et plus jamais, ne fut mienne, l’Incertitude meurtrière.
Jamais plus.