Valse
1…voluptueuse, légère et satinée. Des corps en ascension, imperturbable posture, marbre brûlant des cœurs battants. Chamade introductive, regards séparés, brisés. Le temps respire de nos souffles, et avec lui, enlacés d’un doucereux tempo, nos peaux qui se frôlent. 2…les mains qui se nouent, s’étirent, s’accrochent. Entre nos doigts brûlants d’une sueur naissante, l’air avide de sombrer dans notre union. Ma main se dépose sur un dos nu, ferme et caressante, ténue de sa fragile candeur. 3…je sens en ma poitrine la sienne s’investir, les épaules inspirées de la force divine se narguent de raideur. Les jambes s’unissent dans un premier battement, les pas élancés caressent alors le sol comme tant de velours écarlate. Frémissant d’impudeur, emportés de folie dans ce rythme romantico-sensuel, je ressens tes sourires plus encore que je ne les aperçois…
1…engagés dans notre superbe, flânant sur la soie de milles regards. Les épaules se rapprochent pour mieux, ensuite, se quitter. L’estafilade de nos talons sur le bois craquelant n’est que magique plainte. Au loin, des mains qui s’agitent, des mots insistants, des maux évanouis. 2…te rapprochant plus encore, si tant est que ce fut possible, je sens ton dos s’effacer dans mes bras. Cambrée de cette beauté qui t’enchante, tu m’enivres, une seconde, un instant, d’un regard perdu que nous n’avons pas le droit d’échanger. 3…agités de nos prouesses, l’élan, de plus belle, nous porte vers le silence et l’inconvenue. Plus que nous. Rien que nous. Nous.
1…rescapé de nos folles amours, assommés de nos illusions. Les cris estompés, les présences affables au néant. Seuls. Nos âmes amies retrouvées, étreintes des notes alanguies que nous pourchassons sans nous lasser. 2…nos bras se croisent, se rencontrent, nos mains se quittent pour se retrouver ensuite, plus prenantes, plus ambitieuses d’emprisonnement, plus écarlates de jalousie. Abreuvée de ma dictature immémoriale, tu réinventes la cadence et redessine l’allure. Nos volontés se déchirent. Nos pas s’accomplissent en combat de l’insensé, s’éraflant de coude, s’affolant de rigueur. 3…Lutte. Têtes détournées, bras crispés. Tu l’accepteras. Je le sais. Mais tu ne veux de moi que le doute. L’insondable et dirigiste doute. Tu m’accepteras, je le sais. Mais tu veux que je me souvienne qu’en ce gouffre tortueux, l’impressionniste tableau n’a de valeur qu’à deux.
1…les cimes nous sont chères, la voltige heureuse. Le souffle haletant, nos mains s’égarent, une fois encore, et d’une ivresse de derviche, nous dégustons les secondes, guerrières inassouvies de vengeance. 2…tu t’abandonnes à mes bras, encore puissants de désir. Je sens ton corps se donner, tes épaules se relâcher. Les battements partagés s’enfilent en doubles-croches et d’une dernière coulisse, me troublent de souvenir à tracer. Figeant l’instant, immortelle hérésie, tu laisses en mon côté se glisser ton bras, comme pour mieux, dans ta déréliction, pouvoir une fois encore me posséder. 3…mes muscles se raidissent, ma dernière respiration vient périr sur ton échine. Les paupières closes, tu respires mon parfum autant que moi le tien. Nos corps s’assombrissent d’immobilité. Tu m’offres le noir de tes yeux, moi la tendresse de mes lèvres. Et je m’exile dans tes contrées, en ton plaisir accompli. Toi. Voluptueuse, légère et satinée.
En ce jour fertile et délivrant, voici qu’en moi le premier souvenir animé s’est fait vivant, blessant, agonisant. Voici qu’en moi, toi, l’Ombre de mes inquiétudes, tu y déposes les frêles espérances de tes tragiques eucharisties. Voici qu’en ta bouche, j’entends mon nom qui hurle de détresse. Voici qu’en mon rêve, qu’en mes pas illégaux vers ta réalité, je fus balafré de ton ressenti.
Voici qu’en un soir dont le temps se souvient, nous avons dansé la valse en un soupir. Et d’un soupir, la valse se dansa…