jeudi, octobre 19

Valse

1…voluptueuse, légère et satinée. Des corps en ascension, imperturbable posture, marbre brûlant des cœurs battants. Chamade introductive, regards séparés, brisés. Le temps respire de nos souffles, et avec lui, enlacés d’un doucereux tempo, nos peaux qui se frôlent. 2…les mains qui se nouent, s’étirent, s’accrochent. Entre nos doigts brûlants d’une sueur naissante, l’air avide de sombrer dans notre union. Ma main se dépose sur un dos nu, ferme et caressante, ténue de sa fragile candeur. 3…je sens en ma poitrine la sienne s’investir, les épaules inspirées de la force divine se narguent de raideur. Les jambes s’unissent dans un premier battement, les pas élancés caressent alors le sol comme tant de velours écarlate. Frémissant d’impudeur, emportés de folie dans ce rythme romantico-sensuel, je ressens tes sourires plus encore que je ne les aperçois…

1…engagés dans notre superbe, flânant sur la soie de milles regards. Les épaules se rapprochent pour mieux, ensuite, se quitter. L’estafilade de nos talons sur le bois craquelant n’est que magique plainte. Au loin, des mains qui s’agitent, des mots insistants, des maux évanouis. 2…te rapprochant plus encore, si tant est que ce fut possible, je sens ton dos s’effacer dans mes bras. Cambrée de cette beauté qui t’enchante, tu m’enivres, une seconde, un instant, d’un regard perdu que nous n’avons pas le droit d’échanger. 3…agités de nos prouesses, l’élan, de plus belle, nous porte vers le silence et l’inconvenue. Plus que nous. Rien que nous. Nous.

1…rescapé de nos folles amours, assommés de nos illusions. Les cris estompés, les présences affables au néant. Seuls. Nos âmes amies retrouvées, étreintes des notes alanguies que nous pourchassons sans nous lasser. 2…nos bras se croisent, se rencontrent, nos mains se quittent pour se retrouver ensuite, plus prenantes, plus ambitieuses d’emprisonnement, plus écarlates de jalousie. Abreuvée de ma dictature immémoriale, tu réinventes la cadence et redessine l’allure. Nos volontés se déchirent. Nos pas s’accomplissent en combat de l’insensé, s’éraflant de coude, s’affolant de rigueur. 3…Lutte. Têtes détournées, bras crispés. Tu l’accepteras. Je le sais. Mais tu ne veux de moi que le doute. L’insondable et dirigiste doute. Tu m’accepteras, je le sais. Mais tu veux que je me souvienne qu’en ce gouffre tortueux, l’impressionniste tableau n’a de valeur qu’à deux.

1…les cimes nous sont chères, la voltige heureuse. Le souffle haletant, nos mains s’égarent, une fois encore, et d’une ivresse de derviche, nous dégustons les secondes, guerrières inassouvies de vengeance. 2…tu t’abandonnes à mes bras, encore puissants de désir. Je sens ton corps se donner, tes épaules se relâcher. Les battements partagés s’enfilent en doubles-croches et d’une dernière coulisse, me troublent de souvenir à tracer. Figeant l’instant, immortelle hérésie, tu laisses en mon côté se glisser ton bras, comme pour mieux, dans ta déréliction, pouvoir une fois encore me posséder. 3…mes muscles se raidissent, ma dernière respiration vient périr sur ton échine. Les paupières closes, tu respires mon parfum autant que moi le tien. Nos corps s’assombrissent d’immobilité. Tu m’offres le noir de tes yeux, moi la tendresse de mes lèvres. Et je m’exile dans tes contrées, en ton plaisir accompli. Toi. Voluptueuse, légère et satinée.

En ce jour fertile et délivrant, voici qu’en moi le premier souvenir animé s’est fait vivant, blessant, agonisant. Voici qu’en moi, toi, l’Ombre de mes inquiétudes, tu y déposes les frêles espérances de tes tragiques eucharisties. Voici qu’en ta bouche, j’entends mon nom qui hurle de détresse. Voici qu’en mon rêve, qu’en mes pas illégaux vers ta réalité, je fus balafré de ton ressenti.

Voici qu’en un soir dont le temps se souvient, nous avons dansé la valse en un soupir. Et d’un soupir, la valse se dansa…

dimanche, octobre 8

Elégies

Quelle douloureuse amertume que celle du réveil dans l’inachevé. Si les Hommes apprennent assez tôt l’art du songe, l’inexistence spectrale que je suis l’aura bien rapidement déniée. La Règle le voulait et, de bon sens accordé, je n’en étais qu’un aveugle esclave, soumis à l’oubli de cette irréalité qu’on me garantit surfaite. Bien mal acquis en fut, et ainsi me percèrent à nuit les fabuleuses secondes que l’Ombre, sans en prendre pleine conscience, m’avait écrites et destinées, pleurées et léguées, brûlées et consenties.

Si cette ivresse de rêverie reflète, à ses heures, le soulagement de cauchemardesques aventures, mon euphorie impitoyablement écimée me fâchait de désir. Puisque les interdits ne m’effrayaient que peu, la volonté de ressentir à nouveau cette tumulte résonnait en moi comme un chant tendre et triste, forgeant chacune des larmes que je ne pouvais verser ; éclatant chacune de celles qui se mourraient pour moi. Je ne le savais pas encore mais au creux de ce feu naissant, régnait l’inconsciente envie de frôler de nouveau cette aubaine que l’on appelle la Vie.

Et comme si l’aquilon, déterminé, eut voulu balayer les éclats d’humeur noire, mes visions furent emportées vers un brasier naissant, en quelques ruines embrumées dont j’étais persuadé d’avoir su le nom. L’Autre y délestait un souffle, une exsangue complainte mêlée de peur et de folie, soupirant l’exténuation d’une fuite infrangible. Ses lèvres remuaient dans le silence d’un crépuscule flamboyant, imitant la céleste oraison des flammèches attisées. La scène me sembla belle. Juste belle. Aphasie solitaire. Pourpre déception. Et je compris…

Je compris à cet instant que la liberté que l’on prétendait me concéder n’était qu’un mirage ludique. Au bout du voyage, l’allégeance à l’infinie sagesse d’un Nirvana insipide, un état de conscience qui se suffirait à lui-même, animé d’une existence imprenable, indescriptible...Que diable ! On me baladait de doutes et d’interrogations, de latitudes inexplorées, de souvenirs morcelés. Et qu’en était ce dessein ? M’amener à l’ennui des vagues, des vagues à l’âme, des âmes englouties, des mémoires brisées. La Règle, muette de son absolutisme, ne voulait de moi que ma totale dévotion au rien. Ce rien qui aurait consumé émotions et sentiments, desquels ici, il me fallait abandonner le droit.

Bien loin de me faire dévot d’un dogme aussi singulier, je décidai, une fois encore, d’agir en état de conséquences. J’étais face à cet Autre, à ce paysage qui s’endormait sur des collines émeraudes, à ces pierres écorchées par le temps. J’étais face à de nouveaux doutes. Et pour seule raison, me conférer l’oubli d’un grotesque accident que je venais de vivre. Insupporté par cette idée que l’After-Life Effect, en son imprenable absolu, voulait me défaire de mes restes de vie, je franchis la frontière que l’on m’ordonna de craindre. Le battement qui, plus tôt, s’était épris de feu mon cœur, finit sa course impétueuse dans l’esprit de l’Autre ; celui-là qui entendit ma voix lui demander pourquoi ; celui-là qui compris à l’instant que sa vengeance me serait rapportée ; celui-là qui ferma les yeux sur une douceur qu’il n’avait fait qu’espérer depuis la maladroite exécution.

Il su que j’étais là, qu’encore j’existais. Mais la folie excusa l’acte. Mon réveil était imminent mais je voulu entendre sa voix. Son rire de dément précéda quelques paroles tragiques. « Parce que tout le monde voulu que pour moi, tu péris ; et parce que moi seul saura jamais que de périr, tu ne le fis que pour Elle. Tu sauvas ma vie parce que tu m’aimais, mais tu perdis la tienne parce d’Amour, tu n’en avais que pour une Ombre que tu préféras voir te haïr plutôt que haïr de ne plus la voir. »

Je le quittai par affliction et revint à mes attributions d’âmes défuntes. Et rien ne se passa. Encore une fois. Une fois encore. Rien. Sinon que dans un sommeil qui ne fut que sien, je pus lire en mon Autre l’étrange douleur du supplice que je venais de lui infliger. Ma punition n’était que trop évidente. J’en fus déchiré, atrocement entaillé. Même mort, j’avais blessé mon Autre aux tréfonds de sa candeur. La Règle portait donc bien ces lettres d’absolu. Il en était ainsi. Ne pouvait en être autrement. Et d’élégies dispendieuses, je parsemais ses rêves. Douleurs affranchies, je m’agonisais d’un mal qu’il fallut que je lui fis. Celui de songes spleenétiques, tortures infâmes, pour que de folie, il en oublia ma fugitive présence.

J’en souffris.

Et je vins à me demander si ces mots de fiel en valurent le prix.

Et d’évidence, je ne pris pas même la peine de répondre…

mercredi, octobre 4

Combat

Si l’on ne meurt pas d’un affrontement, soit-il exsangue de souffre ou impitoyablement sanguinaire, la tradition voulu que cela nous rendit plus fort. L’adage me charma. Puisque je m’étais déjà acquitté de ce devoir de mort, chaque bataille, gagnée ou douloureusement perdue, sera toujours bienveillante en son sein. Bien mal acquis m’en fut, car j’en oubliai que les Humains, fragiles et fougueux, n’auraient pas le même apaisement…

Mon ire maladive s’était dissolue en d’étranges pensées. Il me plut de croire et d’imaginer qu’il me fallait pardonner. Deux êtres, distants et uniques dans leur différence, parcouraient un sentier que j’avais fait mien sans rien en dessiner mis à part son avènement, le point crucial de son origine. Ma disparition. Chacun de leurs pas était successeur, natif et héritier du premier de ceux-là qui, pour le salut des âmes en déréliction, s’était posé en courageux inquisiteur d’une lutte acharnée. Pour l’une, celle de l’oubli ; pour l’un, celle de la vengeance.

Après tout, en quoi avais-je le droit de juger ? A la recherche de mon passé, j’en oubliai les tumultes de leur présent, cerclé de barbelés, rougeoyant de l’amertume d’un futur aux aurores ténébreuses. Pourquoi me faire juge de ceux-là de qui je ne sais rien d’autre que ces bribes de sensation, ces fracas de vide qui, de pleine essence, m’ont blessé de doute et d’envie. L’envie. Celle de savoir.

Dans les aubes aguerries d’un jardin lissé de mémoire, je me retrouvai, comme enchaîné, esclave d’une volonté qui ne fut pas mienne. A ma seule occupation, infinies secondes au centre de mes réflexions, je suis resté lié et de n’en plus voir le bout, j’ai cédé, à mon insu, à une ivresse inattendue. Je n’étais plus à ma place, ou plutôt, ne l’avais-je jamais tant été ? Mes tympans s’agitèrent d’un tintement humide ; mes yeux se remplirent de reflets scintillants ; mon être se tordit d’une douleur. La douleur d’une autre. La douleur d’une ombre.

Que m’arrivait-il ? Qui donc m’avait voulu ici autant que moi, à cet instant, j’aurais voulu revivre, ne serait-ce que d’insipides secondes ? Les sanglots qui me parvinrent achevèrent de m’éloigner de mon After-Life : fermement, je puis le jurer, je sentis ma poitrine se soulever d’une inspiration, une pénible bouffée d’air qui me brisa la gorge comme celle d’un nouveau né. Je sentis mon cœur se vider d’une palpitation, une seule. Et ma bouche s’ouvrit et je voulu hurler mais le rêve tenait à me remporter en ma demeure…mais…

Le bruit infime des gouttelettes s’amenuisa jusqu’à ne plus soupirer que d’un macabre silence. En mon corps figé de vie, je sentis le martèlement de l’inassouvi. Elle était là. Plus proche que jamais. Et jamais, de proximité, nous n’avions été ainsi. Je vis son ombre se refléter dans quelques miroirs humides. Je savais l’odeur de ses cheveux. Elle se battait. Nous nous battions. Car le rêve y tenait et ma demeure se complaignait de mon absence. Elle se battait, mais pas d’oubli. Elle se battait d’Amour. Et je le vis, je le sentis et je le sus. Elle se battait de m’Aimer encore ; elle se battait d’aimer encore. Et d’Amour, je puis m’inonder la mémoire…

Je n’ouvris pas les yeux. Et pourtant, je me pris à garder l’image rassurante de cet acte. Elle avait tourné la tête, une seconde, un instant. Et dans son regard, le destin soyeux et déchirés, l’esquisse inachevée qui portait l’écriture de ma courte existence. Dans son regard, un enchevêtrement d’inattendu. Le doute avait rompu ses promesses secrètes. Le savoir m’était interdit. Et l’interdit m’était glorieux et doux. Je me pris à imaginer que d’ici, tout rêve ne peut avoir lieu dans la réalité d’un autre. D’une autre. Et que de ce songe qu’ici, on ne fait pas, il me restait le plus beau des éclats. Celui-là qui me fit abandonner mon souffle, mon battement de cœur, mon cri étouffé.

Elle sa battait pour Aimer, elle se battait pour vivre. Alors je compris mon sors.

Je ne pouvais plus me battre pour vivre. Mais je venais, à l’instant, de me donner le droit de me battre pour, encore, Aimer.